Stéphanie Nguyen Sage femme , Sexologue et Thérapeute de couple
Quand la grossesse ou la naissance fait irruption trop tôt ou trop tard ou pas comme prévu, ou pas du tout…désirée ou non coupable ? Cap ou pas cap sur les projets individuels et/ou la vie de famille ?
Certes, la biologie ou les hormones s’emmêlent, les valeurs culturelles et socio-éducatives représentent des obstacles, mais ce n’est pas la seule explication. Premièrement, la tocophobie toucherait au moins 6 à 15 % des femmes[1], et pour causes de dyspareunies (35%), de douleurs périnéales (11%), de lombalgies (32%), d’incontinence urinaire (8%-13%) ou anale (19%), etc.
De surcroît, la grossesse peut évoquer un mirage ou une perte, une rupture, un deuil non résolu qui refait surface, l’annonce réelle ou imaginaire d’une malformation fœtale, d’une pathologie compliquée, d’une différence, d’un handicap à porter en plus.
L’état des lieux dans le Var zone de désert médical confirme le constat suivant « En France, comme dans tous les pays riches, la dépression est la première complication de la grossesse et la première cause de morbidité maternelle »[2]. La bulle des 1000 jours s’apparente d’ores et déjà à une double membrane perméable et fragile chorio-amniotique accolée, connectée ou dissimulée derrière la sphère psychique maternelle parfois invisible, absente, indifférente et inaccessible. Si le bracelet de naissance crée la bulle réelle, tisse, inscrit le lien de la filiation parentale, ce n’est pas sans bouleverser la biologie et l’anatomie de la cellule conjugale, ni sans défect ou effraction le long de la boutonnière du plancher périnéal maternelle. Une déchirure interne peut filer jusqu’à transpercer la membrane virtuelle psychique et envahir l’espace intérieur de la mère et/ou du coparent. Si la bulle dessine l’empreinte d’un virage de vie à 360°, elle réactive et interroge l’histoire personnelle de chacun, du couple et scanne dans l’ordre générationnel toute la systémie de la lignée familiale. Comme dit, « Notre spécialité, parce qu’elle touche à l’intime, est fortement imprégnée de psychologie »[3].
Quelques chiffres alarmants de la sphère psychique viennent au demeurant pressuriser la bulle :
Au-delà du baby-blues physiologique des 3 à 5 premiers jours de vie qui touche entre 50%-80% des mères, le risque de développer une dépression post-natale atteint 1 femme sur 5 soit 20 % et 1 homme sur 10, soit 10%. La Dépression périnatale de l’homme, du père/coparent, et si on en parlait pour lui donner sa place ?
En population générale, la survenue d’un trouble anxieux psychiatrique du post-partum durant les 1000 premiers jours est comprise entre 10%-15%[4]. C’est sans compter le risque associé de résurgence d’un trouble de la personnalité, notamment bipolaire ou schizophrénique ; les diagnostics sont souvent non demandés ou dans l’urgence ou longs et complexes.
Quant au passage à l’acte suicidaire des mères, il se profile à la première place des causes de mortalité maternelle »à proportion de 74 % pendant la période périnatale de 43 jours à 1 an, versus 17 % entre les 8 premiers à 42 jours, presque équivalent au risque encourus du premier trimestre à 15 %.[5]Le compte à rebours en France annonce 1 décès maternel en période périnatale tous les 4 jours toutes causes confondues, rapporté à une fréquence de 3 semaines pour cause psychiatrique[6].Une étude de recherche réalisée à long terme en Suède révèle la cause à effet directe entre la dépression post-natale et le risque de décès maternel multiplié par 6 dans la semaine, puis par 3 après 1 an, avec une forte pulsion suicidaire. Si la femme est encore survivante, même 18 ans après persistent des troubles de l’humeur et des conduites addictives comportementales alimentaires ou à un produit[7]. Silence radio tabou et sacré sur le risque d’infanticide.
Une situation d’autant plus préoccupante vue son évolution régressive vers la décompensation des taux de réduction annuels moyens de mortalité maternelle après 2016 : -0.04 %contre 2.7 % entre 2000-2015. Le nadir socio-économique bat des records dans les pays défavorisés pour ne pas changer, les femmes les plus vulnérables sont touchées[8] : « Toutes les deux minutes, une femme meurt pendant la grossesse ou l’accouchement, selon le rapport Trends in maternal mortality publié par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 23 février dernier(…), preuve qu’il faut sans cesse rabâcher la nécessité d’investir dans la santé sexuelle et reproductive des femmes ». Comme nous le rappelle Nour Richard-Guerroudj : « Dans la stratégie promue par l’OMS les sages-femmes tiennent une place importante ».
Pour conclure, la part des étiologies psychiatriques dans la mortalité maternelle est largement prouvée depuis l’enquête confidentielle réalisée en 2016-2018 par Santé Publique France et l’INSERM, voire même sous-estimée au point de recommander au niveau international de « Considérer tous les suicides jusqu’à 1 an après la grossesse comme des morts maternelles directes ». Le risque moyen se situe à 6 mois du post-partum pour l’enfant né vivant. Il est majoré dans les situations de deuil périnatal : après une fausse couche précoce ou tardive, une interruption volontaire de grossesse ou involontaire si indication médicale pour cause maternelle et/ou fœtale, après une grossesse extra-utérine, ou une mort fœtale in utéro précoce, intermédiaire ou tardive, ou encore en cas de mort inattendue du nourrisson, sans parler du contexte des réductions embryonnaires.
La détresse est amplifiée par la maltraitance institutionnelle et sociétale vécue tant du côté des patientes que des soignants. En effet, l’indicateur de mortalité maternel remet en question l’efficacité et l’efficience du système de soins sur la notion de mort évitable dans le parcours de santé des femmes avant, pendant et après la grossesse.
Réponse ?
A l’heure d’une nouvelle relation entre l’humain et l’intelligence artificielle pour sauvetage des grands prématurés a été engendré l’utérus artificiel, nouvelle fabrique à bébés. De nombreuses questions bioéthiques[9]résistent relatives au statut juridique, au nom de l’enfant né « biobag », au coût, aux droits sur l’embryon et le fœtus en faveur d’un recul de l’âge au recours à l’IVG, etc.
La chaire ‘’des psy’’ appelle à la conscience du risque accru d’interférer sur le pronostic psychologique, ontologique, neurosensoriel, et émotionnel au bénéfice de la survie de l’enfant à tout prix, y compris d’aliéner sa vie intra-utérine, de le chosifier en une créature. Ce qui reviendrait à le priver de son droit d’être, de ses liens d’attachement à sa matrice maternelle ou source vitale et charnelle d’amour, de reconnaissance, du sentiment d’appartenance, in fine de ses premières stimulations cognitivo- sensorielles. En somme, l’enfant si précieux arriverait au monde d’emblée frustré comme un déshérité, destitué, démuni de son droit à l’éducation originelle à sa vie relationnelle affective et sexuelle…si imparfaite soit-elle mais réelle.
N’existerait il pas une autre alternative pour libérer la femme que de supprimer sa maternité ou la laisser se suicider en demandant demain aux sages-femmes de surveiller les fœtus dans des sacs plastiques ? La disparition du lien mère-enfant n’est-elle pas déjà amplement relayée par l’IA ? Qui plus est dépasse les performances médicales. Notre mode de survie sociétal se réduit il à la binarité ? Quel impact sur l’identité sexuelle et de genre ? Concrètement, sur quels paramètres se baser pour doser la quantité de testostérone à administrer in biobag ? Et qui en portera la responsabilité ?
Bibliographie
OMS ; INSERM, SANTÉ PUBLIQUE France : SANTÉ PÉRINATALE ET PETITE ENFANCE avril 2024
« Les morts maternelles en France : mieux comprendre pour mieux prévenir ». « 7e rapport de l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) 2016-2018 »,
Communiqué de presse Saint-Maurice 20 septembre 2022
« Santé périnatale : un rapport inédit pour décrire et améliorer l’état de santé des femmes et des nouveau-nés » ;
PROFESSION SAGE-FEMME : avril 5, 2024 numéro 261 déc.2019 et janv.2020, mai 3, 2023
« Dépression périnatale et mortalité chez les femmes suédoises »
« Réduire la mortalité maternelle : un défi pour le monde »
Nour Richard-Guerroudj : avril 5, 2024 Rédaction Online
« Utérus artificiel : bientôt des essais cliniques sur l’être humain »
IEB Institut Européen de Bioéthique Publié le :06/10/2023 Thématique :
« Début de vie / Procréation médicalement assistée »
BlogNT : le Blog des Nouvelles Technologies, avril 6, 2024 Rédaction Online
« Amie : l’IA de Google plus performante qu’un médecin ?
Références
[1] The Lancet Global Health de Marianne Benoit Truong Canh, https//bit.ly/4cr22m6
[2] Profession sage-femme numéro 261 déc.2019 et janv.2020) et le 7e rapport de l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) 2016-2018.
[3] René Frydman : Une Histoire de la Naissance
[4] Santé publique France Communiqué de presse Saint-Maurice, le 20 septembre 2022, en lien avec le ministère de la santé et de la prévention et de nombreux partenaires dont l’Inserm
- 10: Prevalence of antenatal and postnatal anxiety:Systematicreview and meta-analysis, Dennis C. L. & al., 2017.
- 11: Assessing he Mental Health of Fathers, Other Co-parents and Partners in the PerinatalPeriod: Mixed Methods Evidence Synthesis, Darwin Z. & al., 2021.
[5] SPF-Infographie-morts maternelles-Causes
[6] 7e rapport de l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) 2016-2018
[7] Perinatal depression and risk of mortality : nationwide, registerbasedstudy in Sweeden, The BMJ, 10 janvier 2024
[8] « Réduire la mortalité maternelle : un défi pour le monde » mai 3, 2023 Nour Richard-GuerroudjÂ
[9] IEB Institut Européen de Bioéthique Publié le :06/10/2023 Thématique : « Début de vie / Procréation médicalement assistée »