Sexualité…Pourquoi tant de violence ?                      

Sexualité…Pourquoi tant de violence ?                      

Philippe Brenot,

Psychiatre et anthropologue

Directeur des enseignements de sexologie à l’université Paris Cité,

Président de l’Observatoire International du Couple.

Si l’on prend un peu de recul sur l’histoire de l’humanité (on appelle hominisation la longue période – 4 millions d’années – de transformation des primates en humains), on ne peut qu’être stupéfait devant la violence humaine pour laquelle le monde primate – notre origine – peut apparaître comme une sorte de « paradis ». En parlant de violence, je désigne autant les violences morales, relationnelles, physiques que sexuelles.

Le « paradis » primate

En effet à l’origine, en ce début de l’hominisation, c’est-à-dire il y a 4 millions d’années, nous étions encore très proches de nos cousins chimpanzés – nous ne descendons, pas directement des chimpanzés, mais nous avons des ancêtres communs à 8 millions d’années – proches en ce qui concerne l’anatomie, la physiologie et même l’organisation sociale, ce qui nous permet de comprendre qu’à ce moment de l’origine dans ce que j’appelle « le paradis primate » il n’y avait : ni couple, ni famille, ni viol, ni inceste, ni violence conjugale !!

Comment était-ce possible, me direz-vous, ? Et pour « vivre le paradis », ne devrions nous avoir ni couple, ni famille ? Peut-être pas, mais cela s’explique parce que nous vivions alors dans de grands groupes multi-mâles/multi-femelles avec une structure sociale essentiellement matrilinéaire. C’est le cas de la quasi-totalité des mammifères qui, du fait de la grossesse cachée in utéro, ne peuvent savoir « qui est le père ». Il n’y a donc chez ces mammifères aucune possibilité de reconnaissance de la paternité. À l’opposé des espèces monogames (par exemple de très nombreux oiseaux) chez qui la ponte est très rapide et assigne le mâle à rester en couple : « C’est toi le père, tu m’aide à élever les petits. » Ce que l’on sait moins, c’est que l’année suivante, dans un nouveau rassemblement nuptial – alors que la portée est autonome – chaque oiseau forme un nouveau couple avec un autre animal. C’est ce qu’on appelle une monogamie saisonnière, qui ressemble étrangement aux tranches de vie actuelles des sociétés occidentales qui, d’une certaine façon, se révèlent être des monogamies saisonnières.

Dans le monde primate de notre origine existe une violence intra-sexe mais jamais de violence inter-sexes. Les mâles entrent en effet en compétition les uns avec les autres pour définir leur rang de dominance – notamment dans l’accès aux femelles – les femelles sont elles-mêmes en compétition pour leur rang de dominance, mais jamais de violence d’un mâle envers une femelle, d’une femelle envers un mâle et, comme il n’existe pas de couple, pas de violence conjugale.

Alors devant ce constat manifeste, le grand primatologue Frans de Waal pose lui-même cette interrogation : « Comment sommes-nous passés de sociétés primates paisibles à la violence de l’humanité ? » (Le Singe en nous, 2006)

Constat effroyable

Si l’on convoque « les morts violentes au sein du couple en France en 2022 : on recense : 118 femmes tuées par leur partenaire ou leur ex-partenaire ; 27 hommes tués par leur partenaire ou leur ex-partenaire ; 12 enfants, tués dans le cadre des violences au sein du couple ; 80 % des victimes de mort violente au sein du couple étant des femmes. » En reprenant les mêmes termes, nous pouvons dire que nous observons peu ou pas de violence intra-sexe, mais un considérable déchaînement de l’agressivité inter-sexes, ce qui nous éloigne du modèle primate. Ce constat est malheureusement régulier et annuel. À ce titre nous pouvons commenter la figure ci-dessus qui montre la régularité structurelle de ces chiffres : depuis une dizaine d’années qu’existe cette statistique, le nombre de féminicides en France oscille chaque année entre 109 et 130 ! Et personne ne remarque cette « effroyable » régularité. Car, s’il s’agissait seulement d’un cumul d’histoires de vie, pourquoi pas 200 ou 300 victimes une année et 15 l’année suivante ? Pourquoi toujours 109 et jamais moins ? Cela évoque malheureusement un phénomène encore structurel, comme si notre société sécrétait une centaine de féminicides chaque année. La régularité n’est pas moindre chez les hommes avec une nuance fondamentale, qui majore encore la violence masculine : certains sont décédés sous les coups de leur compagne ou ex-compagne, mais le plus souvent (c’est ce qui altère notre perception du phénomène), il s’agit d’un homme qui tue une femme (féminicide), souvent aussi les enfants (infanticides) et qui termine son action en se supprimant lui-même (suicide). Les 20 victimes masculines annuelles ne sont donc pas uniquement le fait de femmes, mais encore d’hommes !

Quoi qu’il en soit, cette violence inter-sexe, spécifique à l’humanité, est un drame aujourd’hui, certainement réduit, car les violences s’atténuent depuis des décennies en occident, alors qu’on a l’impression de l’inverse (Pinker, 2017).

Constatd’asymétrie
On ne peut faire qu’un constat d’asymétrie entre les femmes et les hommes. Pourquoi cette violence toujours majoritairement portée par les hommes ? Et donc cette asymétrie victimaire, tant en termes de décès, d’expression de la violence physique, psychique, sexuelle… viol dans le mariage qui renvoie à l’asymétrie de la force physique, de la puissance de la voix… qui ne connaissent qu’un déterminant commun : la testostérone ! La question est complexe, car sur cette structure se surajoute un apprentissage culturel (machisme, agressivité, jalousie, dépression hostile) et, par la suite, une malheureuse répétition des scripts.

La violence serait-elle toujours liée au sexe ?
Dès le début de l’humanité, on observe des rapports étroits et ambigus entre le sexe et la violence, le sexe masculin violent est un outil de la domination masculine, le viol une arme de guerre, d’humiliation et de soumission des peuples. Dans l’intimité, le déchainement des passions est violent mais il y a une gradation de l’amour à la mort, au meurtre et au suicide… qui est une question de culture et d’éducation. Le grand théoricien de l’érotisme qu’était Georges Bataille ne parlait pas différemment : « Et si le bassement bestial de l’humanité
représentait ce qu’il y a de plus hautement humain
… »


D’où les passions sont-elles violentes ? L’attirance peut être violente, l’attachement peut être violent, la séparation peut être violente, l’abandon peut être violent, les comportements peuvent être violents, le coït peut être violent, la jouissance peut exiger de la violence… l’ensemble de notre exercice clinique, notamment en couple, nous confronte à la violence mais il existe une violence érotique respectueuse et consentie que nous pouvons inciter à respecter, c’est notre fonction éducative.

Comment distinguer pulsion érotique et pulsion agressive ? La violence sexuelle n’est-elle que masculine ? Certainement pas, mais encore une fois le rôle de la testostérone n’est jamais anodin : hormone du désir chez les femmes, comme chez les hommes, mais hormone du muscle, défatigante, dynamisante, énergisante… majoritairement portée par les hommes.

Pour une relation non violente

Le sexe au quotidien dans un couple, cohabitant ou non cohabitant, devrait cultiver : respect, séduction, consentement. Or on observe, au fil des ans un naturel émoussement du désir, une majoration des tensions, des douleurs et des dysfonctions sexuelles.
Nécessité est tout d’abord de s’affranchir de la violence née de pulsions moins contrôlées, de frustrations, de refoulements (la majorité des couples en difficulté, vivent dans des frustrations et refoulements inconscients) qui se traduisent par des actes et forçages sans consentement.

Les règles de la communication non-violente devraient être apprises par tous : bienveillance quotidienne, expression des émotions, reconnaissance des besoins de l’autre et des différences de chacun. Ainsi que celles de la sexualité non violente : énoncer les attentes, les désirs, les préférences (et pas uniquement dans le domaine de l’intimité et du sexuel), cultiver le don de soi envers l’autre. Tout ceci concourant à la libération non violente des pulsions.

Je laisse mon maitre Edgar MORIN conclure par une sagesse pour nous tous, à méditer : « L’amour est un risque terrible car ce n’est pas seulement soi que l’on engage. » (Amour, Poésie, Sagesse, 1997)

Références bibliographiques

Abraham G. et Vlatkovic D., Sexualité et violence, Rev Med Suisse, 2011, 7.

Bataille G. Histoire de l’érotisme, Gallimard, 1950

Brenot P., Les Violences ordinaires des hommes envers les femmes, Odile Jacob, 2008.

Brenot P., Pourquoi c’est si compliqué l’amour ? Les Arènes, 2019.

De Waal F., Le Singe en nous, Fayard, 2006.

Morin E., Le Paradigme perdu, Le Seuil, 1973.

Nguyen S., Du Prince charmant à l’homme violent, prévenir les violences conjugales, l’Esprit du Temps, 2012.

Picq P. et Brenot P., Le Sexe, l’homme et l’évolution, Odile Jacob, 2010.

Pinker S., La Part d’ange en nous, Les Arènes, 2017.

Vermeille A., Les Principales données disponibles sur les violences au sein du couple et les violences sexuelles, Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, novembre 2023.

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